Depuis l’ouverture de la publication des données DVF le 24 avril 2019, de nombreux sites internet, applications, algorithmes utilisent cette data pour estimer la valeur d’un bien. Des modules d’évaluation automatique de plus en plus perfectionnés voient le jour, et certains s’interrogent désormais sur le rôle de l’expert en évaluation à la lueur de ce progrès technique et du développement de l’IA.
Le rôle de l’expert immobilier dans les années à venir : simple perroquet ou véritable valeur ajoutée?
LES DATAS IMMOBILIÈRES : UN OUTIL AU SERVICE DE L’EXPERT
Pour notre part, il nous semble que si ces données immobilières sont une aide et une avancée indéniable dans l’appréhension d’un marché immobilier, il n’en reste pas moins qu’elles sont à manier avec une extrême prudence et à utiliser après certaines diligences.
En effet, ces données ou datas vont venir alimenter une réflexion, une démonstration et une analyse approfondie pour aboutir à une valorisation. Elles sont au service de l’expert, et représentent un outil parmi d’autres dans sa boite à outils.
Alors, certes, l’expert immobilier, comme l’intelligence artificielle, va collecter, recenser la data immobilière, mais il ne faut jamais oublier que parallèlement, il va également étudier et analyser les différents facteurs de valeur (juridiques, économiques, géographiques et physiques du bien). La construction est-elle régulière ? Quelle surface doit être prise en compte ? Le bien est-il situé dans une zone à risque ? Des pathologies sur le bâti ont-elles été répertoriées ? Quel est le contexte de l’intervention ? Le mode de détention a-t-il un impact sur la valorisation du bien ? Quelles sont les règles urbanistiques ?
Le tout dans une logique d’étude d’impact de ces facteurs sur la valeur vénale d’un bien ou droit immobilier. Pour rappel le rôle de l’expert immobilier est d’appréhender tous ces facteurs afin de reconstituer le puzzle de la valeur vénale.
Ces différentes questions ne sont qu’un exemple restreint que l’expert peut (ou doit, au choix) se poser pour mener à bien son évaluation.
LES DATAS IMMOBILIÈRES : UN RETRAITEMENT NÉCESSAIRE DE LA PART DE L’EXPERT
En matière de data immobilière, l’expert a également un rôle primordial dans le retraitement des données. Il ne s’agit pas pour lui de recopier in extenso les données de marché mais plutôt de se questionner sur leurs pertinences, leurs justesses et in fine de les enrichir et les « retraiter ». Ainsi, la base DVF ne renseigne ni sur les périodes de constructions des bâtiments, ni sur les matériaux utilisés, et encore moins sur la performance énergétique. Ce qui pour l’application de méthode expertale comme la comparaison peut être préjudiciable.
Par ailleurs, il n’est pas rare que suivant les bases de données immobilières utilisées, pour une même référence de transaction, les notions de surfaces et de prix divergent.
ILLUSTRATION PRATIQUE SUR UN BIEN RÉSIDENTIEL TYPIQUE DE BORDEAUX: L’ÉCHOPPE
Récemment, lors d’une expertise immobilière d’une échoppe sur BORDEAUX, au moment de la transcription de l’étude de marché et de l’analyse des comparables, je suis frappé par le fait qu’aucune référence (en prix et en surface) ne soit similaire au sein des différentes bases de données immobilières. Sur une même mutation, les bases DVF et PERVAL me donnent des prix, des surfaces et donc des prix/m2 différents.
L’écart, oscille, suivant les cas, entre -9% et + 11%.
Deux explications possibles à cela, concernant mon exemple :
- DVF intègre, dans certains cas, les honoraires de l’agence (lorsqu’ils sont à la charge du vendeur par exemple) ;
- Les surfaces mentionnées sont différentes : DVF se base sur la surface réelle bâtie, Patrim sur la surface utile et PERVAL sur la surface habitable.
Dès lors, sans retraitement de la donnée, suivant la base utilisée, pour les mêmes comparables retenus, l’analyse de marché sera totalement différente, occasionnant de fait une erreur dans la valorisation du bien.
De même, lorsque l’on reprend les définitions des différentes surfaces (surface utile et surface habitable) dans le code de la construction et de l’habitation, on se rend compte, notamment en présence de dépendance ou d’annexes, de l’importance de bien qualifier, contrôler et retraiter la surface qui sera utilisée comme base de référence. Quant à la surface réelle bâtie de la DVF, malgré une explication fournie, je m’interroge sur sa fluctuation (en plus et en moins) par rapport à la surface habitable.
L’INVESTIGATION FACE AU DÉCLARATIF
Fort de ce constat et afin d’éviter tout risque notamment de surévaluation d’un bien, il convient, selon nous, de retraiter la donnée et de confronter les différentes bases dans une logique de contrôle de cohérence, tant en ce qui concerne le prix, que la surface. C’est notamment ce travail qui va différencier l’expert immobilier de l’algorithme, qui bien souvent considérera comme fiable l’ensemble des données collectées, en se basant essentiellement sur du déclaratif.
Pour mener à bien une expertise immobilière et aboutir à une évaluation objective, le rôle critique de l’expert y compris dans l’appréhension et dans la correction de la data nous apparait essentiel. Il ne faut jamais perdre de vue le but originel de ces bases de données immobilières. Par conséquent, ne pas mener une analyse critique sur ces bases amène à des analyses éronées du marché.
A ce jour, seul l’humain est en capacité de mener à bien l’intégralité de ces démarches. L’expert immobilier de demain n’est donc pas un simple perroquet mais plutôt un enquéteur spécialisé dans l’évaluation et l’analyse multifactorielle de la valeur vénale d’un bien immobilier.
La data immobilière préalablement enrichie et retraitée par l’expert en évaluation, ne représente qu’un outil au même titre que les documents d’urbanismes, actes notariés, plans de préventions des risques, diagnostics techniques, concourant à la justification et la détermination de la valeur vénale du bien immobilier. A ce jour, l’IA n’est pas encore en capacité d’appréhender l’ensemble de ces éléments.